Publié le 20 novembre 2025 par Fabrice Mazoir
Chantel Dartnall, de l’Afrique du Sud à la Bretagne
« Le marché des Lices est très inspirant avec son ambiance, ses couleurs, ses odeurs… »
Élue meilleure cheffe du monde en 2017, la Sud-africaine Chantel Dartnall s’est installée avec sa famille et son équipe dans un château en Bretagne, près de Rennes. Après 4 ans de travaux, elle a ouvert dans le Château des Tesnières son nouveau restaurant Mosaic, une table exceptionnelle où sa cuisine « botanique » sublime les produits bretons. Pour sa carte, la cheffe travaille avec les meilleurs producteurs locaux et se rend régulièrement au Marché des Lices qui lui a inspiré l’un de ses plats. Rencontre avec une cheffe engagée dont chaque assiette est une oeuvre d’art…
Votre installation dans un château en Bretagne n’est pas tout à fait le fruit du hasard, c’est finalement un retour aux sources pour votre famille ?
Oui c’est un peu un retour aux sources car les ancêtres de notre famille étaient bretons et huguenots. Depuis plusieurs années, ma famille et moi voulions venir en France car c’est le pays sacré pour la gastronomie, l’art, l’élégance. C’est un très beau pays que nous adorons. Le rêve s’est réalisé quand nous avons acheté le château des Tesnières. Nous nous sommes tous sentis immédiatement très bien. La nature est inspirante ici.

Pour une cheffe comme vous, la Bretagne est un eldorado avec le meilleur des produits de la terre et de la mer, c’est un point commun avec l’Afrique du Sud ?
Oui, il y a une vraie richesse en produits de la terre comme de la mer. Exactement comme en Afrique du Sud. À Pretoria mon restaurant était au milieu de grands espaces cultivés naturellement.
Les régions côtières de Bretagne et d’Afrique du Sud offrent chacune une extraordinaire palette d’ingrédients, puisés sur leurs rivages, au caractère distinct mais profondément généreux. Le long des côtes bretonnes, les eaux regorgent d’espèces nobles d’eau froide : homard bleu, langoustines, huîtres de Cancale, coques, araignées… Les algues aussi et les plantes, comme la salicorne, y sont délicates, riches en minéraux et évoquent les marées puissantes.
En revanche, la côte sud-africaine, en particulier autour des régions de Knysna, de Nature’s Valley et de la côte ouest, apporte une expression plus chaude et plus robuste de l’océan. Du lagon de Knysna viennent des huitres, des moules, et du crabe. L’océan voisin donne de la langouste du Cap, de la limande, et le galjoen, le poisson national de l’Afrique du Sud. Sur la côte ouest, le perlemoen (l’ormeau), le poulpe, et le hard (mullet) sont profondément ancrés dans les traditions culinaires locales.
Ce qui unit ces deux régions, c’est leur respect pour la mer, chaque produit étant façonné par la marée, la température et la tradition.

Votre carte est inspirée à la fois de paysages, de souvenirs et d’émotions que vous procure la nature, qu’est-ce que vous appréciez particulièrement dans les produits bretons et comment se marient-ils à votre cuisine « botanique » ?
Les algues ici sont extraordinaires et je les marie avec les légumes pour des associations terre et mer. Dulce, Nori, Wakamé… j’adore les cuisiner. Les betteraves du marché des Lices sont une pure merveille alors je construis un petit jardin d’hiver avec. Pour mon plat Marché des Lices, je reconstruis le milieu naturel du poisson du jour (le bar, ou le turbot), avec un jardin marin d’algues, de courgettes et de fleur, comme le fond de la mer.
J’aime aussi la forêt de Brocéliande, ses sous-bois, ses odeurs, ses couleurs en automne, c’est fabuleux. J’ai créé un dessert qui s’appelle Forêt de Brocéliande, un trompe-l’œil qui représente un sous-bois, avec la mousse verte et le tronc de l’arbre en chocolat… Ces paysages très différents sont vraiment une source vive aujourd’hui pour enrichir mon imaginaire.

Pour tous vos plats vous privilégiez les produits locaux, avec quels producteurs travaillez-vous autour de Rennes ?
J’aime en effet travailler avec les petits producteurs, car ils m’apprennent beaucoup de choses sur la terre, le sol, et donc la nature profonde des produits. Comment ils les cultivent, le meilleur moment pour les cueillir… Cet échange humain est indispensable pour comprendre la nature et la sublimer en cuisine.
Je travaille notamment avec Thierry Lemarchand à Pacé pour le Beurre de Madame. Incroyable de finesse et de goût ; avec Kevin Potard pour les Champignons du Pot à Val d’Izé ; avec le beurre Bordier à Noyal-sur-Vilaine ; et avec Marie-Luxe à Rennes pour les produits de la mer.
Vous êtes aussi une habituée du Marché des Lices de Rennes, vous avez même donné son nom à un de vos plats, qu’est-ce qu’il y a de si particulier à vos yeux ?
J’adore l’ambiance qui règne dans ce marché très convivial, très coloré, très vivant. Les gens se parlent, flânent, échangent et parlent cuisine. En France c’est incroyable, on parle tout le temps de cuisine et de bons produits. C’est phénoménal la richesse des étals, les poissons qui viennent directement des pêcheurs, les légumes de toutes sortes, et les volailles en direct des fermes.
C’est un marché très inspirant avec son ambiance, ses couleurs, ses odeurs. Et cette place des Lices est vraiment magnifique avec ses vieilles maisons à colombage. C’est tout à fait l’univers que j’aime. Un univers qui mêle l’histoire, l’art et la gastronomie !

L’un des trésors de votre château c’est sa cave, avec une collection aussi précieuse que les œuvres d’art africaines qui sont exposées dans les différentes pièces ?
Oui c’est un trésor qui est l’œuvre de mon beau-père Cobus Du Plessis qui a une passion pour l’art et le vin d’exception. Lors de nos nombreux voyages en Europe et en France, nous avons visité beaucoup de vignerons pour commencer cette collection et construire notre cave, année par année. Aujourd’hui, notre collection complète est riche de 85 000 bouteilles, dont 25 000 sont au Château des Tesnières. Le reste est resté en Afrique du Sud. Notre cave est constituée des plus beaux crus du monde mais aussi des pépites réalisées par de petits vignerons qui font un travail remarquable.
Mosaic n’est pas un restaurant comme les autres, votre équipe est quasiment exclusivement féminine, « luxe, calme et féminité » c’est ce qui résume le projet ?
Au cœur de tout ce que nous faisons se trouve le désir de partager la beauté, l’émotion, et l’authenticité avec nos clients. Je souhaite que nos hôtes ressentent quelque chose de spécial lorsqu’ils se promènent dans les jardins, quand ils s’assoient à la table de Mosaic, ou dégustent un bon verre de vin au salon.
C’est pourquoi nous avons constitué une équipe de femmes extraordinaires, chacune apportant un sentiment de chaleur, de créativité et de force tranquille au château. L’hospitalité, selon moi et mon équipe, est une question de connexion entre les personnes, les lieux et les histoires.
Mon équipe est presque à 100% sud-africaine. Elle m’a suivie pour continuer l’histoire de Mosaic ensemble. Et au fil du temps, mon histoire est aussi devenue la leur et nous formons une famille. Je défends la place des femmes dans la cuisine et la gastronomie. Elles ont une importance capitale et je trouve qu’elles ne sont pas suffisamment mises en avant dans ce milieu très masculin. La cuisine de Mosaic est l’aboutissement d’un travail commun. Nous travaillons dans un esprit collaboratif plutôt que compétitif.

les suites du château sont une invitation au voyage et un hommage également à des grandes figures féminines de l’Histoire…
Les suites du château sont une invitation à entrer dans le décor intime de femmes illustres de l’Histoire ou issues de légendes. Toutes ces femmes incarnent la beauté, le raffinement, l’élégance, le mystère et la force. Leur point commun : ce sont des femmes engagées et qui défendent à leur façon la place des femmes dans l’art ou l’artisanat.
Pour la décoration du château nous avons collaboré avec Martine Di Matteo, architecte d’intérieur dont la sensibilité à l’ambiance et aux détails a permis au château de trouver sa nouvelle voie. En collaboration avec Marine Fervel, architecte locale, nous avons créé une atmosphère féminine et intemporelle qui honore à la fois l’élégance à la française et l’inspiration mondiale.

Au-delà du restaurant Mosaic et des suites, le projet se poursuit dans les jardins du château et là aussi c’est une aventure familiale ?
Les jardins du château sont entretenus par Marie Louise, ma sœur et ma mère Mari. Le respect de la Nature, de sa beauté a toujours été la pierre angulaire de notre philosophie. A Tesnières, nous avons planté plus de 135 arbres, plus de 6300 plantes odorantes et fleuries pour enrichir le territoire. Nous travaillons en étroite collaboration avec les agriculteurs et les producteurs locaux qui partagent notre engagement en faveur de la durabilité et de l’harmonie écologique.
Avec Marie Louise, nous avons adopté les principes de la permaculture aidé de spécialistes locaux. Nous travaillons avec la terre en créant un écosystème autonome ou tous les éléments – sol, eau, plantes, insectes – vivent en parfaite harmonie.
- Château des Tesnières, lieu-dit Tesnières, 35370 Torcé (à 20 minutes de Rennes direction Vitré). https://chateau-des-tesnieres.com/fr/
