Publié le 09 septembre 2019 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 18 décembre 2023

Elly Oldman

Son Dessin Sans Fin fait bouger les lignes

Elly Oldman
© Destination Rennes / Nicolas Joubard

Dessinatrice autodidacte, Elly Oldman trace un parcours atypique dans la ville. D’abord serveuse dans le quartier Sainte-Anne, elle s’est mise à dessiner suite à des problèmes de santé et s’est vite fait remarquer sur Instagram avec son Dessin Sans Fin. Un projet qui prend une nouvelle dimension avec une exposition dans le cadre du Festival Maintenant. Elle signe aussi le visuel du festival I’m From Rennes 2019. Rencontre avec une “sale gosse” rennaise qui se bat contre les déchets plastiques.

« J’aime le mélange des genres de la Place Sainte-Anne »

Elly Oldman

Avec ses cheveux roses, Elly Oldman, passe inaperçue sur la Place Sainte-Anne, ou presque. Elle connaît tout le monde dans ce petit village du cœur de Rennes où elle a sévi comme serveuse pendant des années. Arrivée des Côtes-d’Armor en 2008 pour faire des études d’arts du spectacle, puis d’Info/com à l’Université de Rennes 2, elle devient serveuse dans la rue de la soif, puis au Petit bar, Place Sainte-Anne. « C’est un métier que j’aime vraiment, surtout sur la Place Sainte-Anne. Je sais que plein de gens n’aiment pas trop l’ambiance, mais moi j’adore ce grand mix entre les étudiants, les punks à chiens, les gens qui travaillent dans le quartier, les congressistes, les touristes… on a plein de discussions sur des sujets très différents » explique Elly dont la vie a basculé, suite à un malheureux concours de circonstance.

En 2016, une grosse crise d’épilepsie lui fait perdre la sensibilité du côté gauche. « Je n’avais pas 30 ans et je n’arrivais même plus à tenir un stylo. Ça m’a bien contrarié. J’ai commencé à tracer des traits pendant plusieurs semaines, mais je n’y arrivais pas, ma main ne faisait pas du tout ce que je voulais » se souvient Elly.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, elle se tord une cheville en changeant un fût, et comme elle ne sent plus rien, l’entorse s’aggrave. Plus possible de marcher et encore moins de servir les clients au bar. Verdict : repos forcé. C’est là qu’elle va avoir le déclic pour le dessin.

Repérée sur Instagram grâce à son Dessin Sans Fin

« Je suis resté 6 mois à la maison sans pouvoir sortir, j’en ai profité pour écrire et dessiner, me remettre en fonctionnement et prendre soin de moi : je me levais à 8 heures et je dessinais jusqu’à minuit » explique la jeune Rennaise. « Quand ma maman m’a acheté une tablette graphique, tout a changé. Ma main tremblait toujours, mais grâce au stabilisateur le trait est devenu droit. Je pouvais enfin dessiner ce que je voulais. C’est comme ça qu’est né le Dessin Sans Fin. Je n’avais plus envie d’arrêter de dessiner, du coup j’ai fait une fresque pour mélanger tous mes dessins. Et Instagram était un bon format pour la diffuser ». Un pêle-mêle ou se côtoient des monuments de la ville et des moments de sa vie : « mes dessins représentent plein de choses que j’ai vécues, comme un gigantesque puzzle : un pense-bête pour des souvenirs et des coups de gueule contre la pollution ou les agressions sexuelles ».

Sous l’effet boule de neige des réseaux sociaux, sa communauté grandit…« A ce moment-là, ça a commencé à être un petit peu le bazar » reconnaît Elly. « J’ai pu passer une étape ». Le début d’une drôle d’histoire qu’elle vient raconter sur la scène du TEDx en mai 2019.

Sur la scène du TEDx, le naturel prend le dessus

Elly Oldman à TedX Rennes en 2019
Elly Oldman à TedX Rennes en 2019 © Destination Rennes / Nicolas Joubard

Le TEDx rennais est le plus grand TEDx de France. « Des conférences pour changer le monde », un exercice pas évident pour les speakers qui doivent exposer leur projet en moins de 20 minutes devant plus de 3000 personnes. Pas de quoi désarçonner Elly Oldman, dont le naturel a permis de faire passer un nouveau message, porté par son Dessin Sans Fin.

« Passer sur la scène après le climatologue et Prix Nobel Jean Jouzel, était à la fois cool et un peu stressant » avoue Elly. « Le côté formel et protocolaire n’est pas trop ma tasse de thé, j’avais surtout envie de rester moi-même – la serveuse aux cheveux roses – et raconter le moment-clé où j’ai commencé à dessiner. Sur la scène, j’ai essayé de rester naturelle, je n’avais qu’à imaginer que c’est une grande terrasse de bar sauf que les gens n’ont pas de verre dans la main ! Et dans la salle potentiellement, il y avait plein de gens que j’avais déjà servi au bar et qui sont habitués à mon humour. Un bar c’est un théâtre, et moi j’adore raconter des bêtises devant un public. Que ce soit derrière le bar ou face à un dessin, je reste la même personne. Du coup l’expérience s’est bien passée ».

Une fresque en réalité augmentée exposée au Festival Maintenant

Avant son passage au TEDx, son Dessin Sans Fin avait déjà pris une nouvelle dimension. L’été 2018, l’association Electroni[k], qui organise chaque mois d’octobre le festival Maintenant autour des performances artistiques et des nouvelles technologies, la contacte. « Ils m’ont proposé d’exposer le Dessin Sans Fin, sauf qu’il était adapté au format de la grille Instagram et représentait une fresque de 15 mètres de haut sur 60 cm de large impossible à exposer. Il fallait repartir de zéro et comme ils travaillaient sur la réalité augmentée, j’ai dit banco ».

Elly Oldman en terrasse, place Saint-Anne
© Destination Rennes / Nicolas Joubard

“C’était le moment de m’exprimer sur un sujet qui me tient à coeur”

D’où l’idée de faire une suite au dessin sans fin, toujours en monochrome avec un trait bleu, mais avec un message beaucoup plus clair. « Quand je travaillais au bar, j’essayais déjà de sensibiliser au problème du plastique, je saoulais les gamins en leur disant que les pailles tuaient les tortues, qu’il fallait ramasser ses déchets et ne pas laisser les papiers s’envoler. Les enfants sont plus réceptifs sur ces questions. C’était le moment de m’exprimer sur un sujet qui me tient à cœur : la pollution plastique ». Elle lance alors une campagne de financement participatif. De quoi écrire la suite de la grande histoire du Dessin Sans Fin, et se consacrer à 100% dans le projet qui s’étoffe avec de la réalité augmentée, en collaboration avec la société rennaise Artefacto et des vidéos réalisées par le collectif &friends.

« Electroni[k] est devenu producteur de la fresque. J’ai commencé à aller dessiner au local de l’Asarue, l’association de soutien au réseau d’expression qui aide les graffeurs à avoir des spots et des espaces. Un lieu génial vers les étangs d’Apigné qui héberge la Crémerie. Je me suis entouré de gens qui était dans le même univers. Les &friends sont arrivés à ce moment-là et on a commencé à travailler ensemble sur des vidéos. Pour la musique on a travaillé avec Benjamin Le Baron et au fur à mesure j’ai été contacté par le Cube d’Issy-les-Moulineaux et Stereolux à Nantes. La fresque va ainsi voyager à Nantes et Paris. Pour la réalité augmentée on a rencontré Artefacto, le projet s’est étoffé et a gagné en crédibilité, ils ont proposé de venir mécènes ce qui a donné une chance géante au projet ».

« Cette fresque a changé l’orientation de ma carrière »

La nouvelle fresque est encore plus grande, 5m05 sur 2m37. Découpée en 48 panneaux, elle intègre un jeu de piste en réalité augmentée pour expliquer aux enfants à travers des vidéos ludiques pourquoi il faut ramasser les déchets. Elle sera exposée dans le cadre du festival Maintenant, du 4 au 31 octobre 2019, à la Maison des Associations et sera aussi diffusée sur Instagram pendant un an. Une fresque dans la vraie vie qui retrouve donc un prolongement sur Instagram grâce au hashtag #poubellesansfin lancé lors du TEDx.

Pour Elly, qui passe pas mal de dimanches à ramasser des déchets, ce projet a changé son dessin et son destin. « Avant je voulais faire des dessins pour rigoler, maintenant j’ai envie de faire passer des messages, pas du militantisme, juste une méthode douce et joviale pour faire bouger les lignes. Car mon autre grande passion consiste à me promener et ramasser des déchets. Quand je suis de mauvais poil, je sors de chez moi avec des gants et un sac et je ramasse toutes les merdes qui traînent en maudissant la terre entière. Après, ça va mieux ».

« Rennes, je la vois comme une sale gosse rock’n roll et impertinente »…

I am from Rennes
I am from Rennes

En parallèle de son projet pour le Festival Maintenant, Elly Oldman collabore également avec le festival I’m From Rennes qui met à l’honneur à chaque rentrée de septembre le meilleur de la scène musicale rennaise. « Quand ils m’ont contactée pour faire l’affiche, ils m’ont demandé de montrer quelle était ma vision de Rennes et de sa scène musicale. Pour moi Rennes est remplie de sales gosses, dans le bon sens du terme. D’où l’idée d’une gamine rock’n roll et impertinente. Ici on croise des sales gosses de 50 piges qui se comportent comme des gamins de 20 ans dans les concerts. Rennes est une ville où ne vieillit pas, j’ai l’impression de partager ce même enthousiasme avec les gens que je croise dans les bars et les concerts. Une éternelle jeunesse vit dans les bars, comme le Mondo Bizarro, le bistrot de la cité ou le Ty Anna, où toutes les générations, toutes les classes sociales et tous les genres se mélangent. La culture bretonne, la culture rock, la culture rennaise et la culture des sorties forment un gentil cocktail dans une ambiance générale plutôt bon enfant ».

Dans les lieux d’Elly : des repères et des repaires

Elly Oldman au bar à mines, rue Saint-Hélier.
Elly Oldman au bar à mines, rue Saint-Hélier. ©Destination Rennes – Nicolas Joubard

A Rennes, Elly a ses repères et ses repaires. A commencer par les terrasses des bars, sans doute le lieu où on saisit le mieux l’esprit rennais.

Les terrasses de la Place Sainte-Anne

« Quand je suis arrivée à Rennes, j’ai découvert toute cette vie nocturne. A Rennes on aime boire des coups, c’est un concept. Moi je ne bois pas d’alcool, mais j’aime m’installer en terrasse, boire un café ou un diabolo grenadine, discuter avec des gens que je ne connais pas, dessiner, regarder les passants qui passent, apprendre des choses. Rennes est un petit village, avec un bourg qui se situe dans le quartier Place Sainte-Anne, tout ce que j’ai fait m’y ramène ». Elly a bossé dans pas mal d’établissements mythiques, au Carnaby, rue Saint-Michel (aujourd’hui fermé), au Bar’Hic, au Dejazey au Ty-Anna et au Petit bar.

Des bars de rire

Et même si Elly ne travaille plus derrière le comptoir du Petit bar elle y a laissé une empreinte en rebaptisant la bière servie aux clients. « Je trouvais le nom de la bière un peu nul, j’ai eu l’idée de la rebaptiser la bière Bellemarre. J’ai fait une carte postale en 1000 exemplaires avec un dessin de la tête de Pierre Bellemare et le slogan ‘vous prendrez bien une bière Bellemarre’. C’est là que je me suis rendu compte que mes dessins pouvaient avoir une portée. Mes dessins ont voyagé avec cette carte postale ».

« On parle souvent de l’humour anglais mais l’humour rennais est assez palpable, une forme de flegme de sale gosse. C’est une ville où si tu es susceptible, ça ne marche pas pour toi, les gens se moquent un peu de tout sans méchanceté, Les Rennais aiment bien être tranquilles et rigoler tout simplement. Dans mon parcours, le dessin et le bar sont liés, tout vient du comptoir. Quand j’ai commencé le dessin, j’en parlais avec les clients, ils ont été mes premiers cobayes. Tout ce que j’ai fait a été inspiré par les Rennais et par mon boulot de serveuse ». Elly collabore d’ailleurs à la Vilaine, une nouvelle revue rennaise « dessinée en bande » dont la sortie est prévue en septembre 2019. « Avec plein d’illustrateurs et de scénaristes rennais, on bosse ensemble pour faire un truc joli sur la ville où on vit ». Sa contribution prendra la forme d’une planche de jeu en hommage à la Place Sainte-Anne.

L’Asarue

Elly fait partie de l’Asarue (Association de Soutien Au Réseau Urbain d’Expression), lieu de travail pour les graffeurs et artistes urbains « un havre de paix centré sur le dessin et le street art » au bord de la Vilaine. Le local est le QG du collectif la Crémerie, très actif dans le domaine du street art à Rennes.

La Cour (18 rue de Penhoët)

La cour (anciennement la Cour des miracles), « tenu par Théo, un ancien collègue, qui cultive encore cet esprit de vieux bar de quartier où on vient jouer au 421, refaire le monde papoter avec les gens. J’aime bien y aller pour dessiner ».

Le bar à mines (74 rue Saint-Hélier)

Autre repaire favori de la dessinatrice, le bar à mines, de la rue Saint-Hélier. Un bar à fanzines, pour les amateurs de BD avec une étonnante tireuse à bières au style steampunk réalisée avec un ancien moteur et une cour arrière agréable pour profiter du soleil. « Le bar à mines a été ouvert par Thomas, un ancien collègue, c’est un endroit qui concentre tout ce que j’aime dans un bistrot : des dessins partout, des gens que j’aime bien et on peut boire des coups, c’est parfait ».

Tourisme éco-responsable