Publié le 06 mai 2021 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 11 octobre 2023

« La couleur est un sujet inépuisable »

Interview des trois commissaires de l’exposition « La Couleur crue » au Musée des beaux-arts de Rennes

Véronique Joumard Orange, 2003/2008‑2021 © Courtesy de l’artiste, Gilles Drouault et galerie de multiples, Paris /Production Musée des beaux-arts de Rennes © Adagp, Paris, 2021/KinderBiennale, Staatliche Kunstsammlungen,Dresde.
Du 12 juin au 29 août 2021, en écho à l’exposition de la Collection Pinault sur le noir et le blanc au Couvent des Jacobins, le Musée des beaux-arts de Rennes propose, avec les centres d’art contemporain La Criée et 40mcube, une exposition sur le thème de la Couleur Crue (le billet donne accès aux deux expositions). Une plongée dans la matière et la Couleur à travers 52 œuvres, créées par 46 artistes. Entretien croisé avec les commissaires de l’exposition Jean-Roch Bouiller, directeur du Musée des beaux-arts, Sophie Kaplan, directrice de La Criée et Anne Langlois, directrice artistique de 40mcube.

Quel a été le point de départ de l’exposition Couleur Crue au Musée des beaux-arts ?

Jean-Roch Bouiller (Musée des beaux-arts) : L’idée de départ était de faire écho à l’exposition de la Collection Pinault au Couvent des Jacobins. Ça nous plaisait de répondre au thème du noir et du blanc avec une exposition consacrée à la couleur, une plongée au cœur de la matière.

Anne Langlois (40mcube) : Les deux projets ont vraiment été imaginés conjointement. Et le fait de travailler ensemble, de partager le commissariat de la « Couleur Crue » à trois, nous plaisait également. La couleur est un sujet inépuisable, nous avons choisi de l’aborder dans sa relation à la matière. C’était le point de départ de notre réflexion qui a abouti à cette exposition. Nous avons aussi voulu l’ancrer dans à la scène artistique rennaise en faisant le lien avec les programmations des lieux d’exposition du territoire, tout en rassemblant des artistes de toutes origines géographiques et de tous âges.

Sophie Kaplan (La Criée) : Nous avons travaillé par strates successives autour de cette articulation entre couleur et matière. C’est en effet une facette de la couleur dans l’art qui reste très vaste et, même si l’espace du musée est grand, il nous a fallu cadrer le sujet : nous sommes partis des œuvres à la matérialité des couleurs la plus brute et palpable pour aller vers des œuvres plus évanescentes. C’est quelque chose qui nous intéressait beaucoup : réussir à ouvrir le spectre du plus matériel au moins matériel.

Jean-Roch Bouiller, Anne Langlois et Sophie Kaplan

Quand on songe à la couleur dans l’art on pense d’abord à la peinture. Votre parti-pris c’est de montrer aussi des sculptures, des installations…

Sophie Kaplan : Oui, c’est vrai que l’on pense d’abord aux couleurs de la peinture, cependant la couleur est présente sur et dans tous les types de mediums : sculptures, installations, dessins, photographies, vidéos, etc. Nous nous sommes d’ailleurs beaucoup intéressés aux couleurs naturelles, aux couleurs d’avant la peinture. Pour certaines d’œuvres exposées, la couleur émane du matériau lui-même. C’est par exemple le cas de l’œuvre CMYK d’Evariste Richer, composée de différentes pierres colorées, glanées et rassemblées par l’artiste.  La couleur est ici dans la matière, et inversement.

Anne Langlois : Dans les œuvres, la couleur se matérialise de différentes manières. Nous avons voulu montrer cette diversité, sans être exhaustif évidemment. De la couleur naturelle des matières, l’exposition progresse vers une dématérialisation, notamment en refaisant le lien avec la lumière, qui est la base de la couleur. La peinture est tout de même omniprésente de façon surprenante avec des effets chimiques, par exemple dans l’œuvre de Véronique Joumard qui recouvre tout un pan de mur et qui réagit à la chaleur. Quand on approche la main et qu’on la touche, elle change de couleur… En fin de parcours, l’œuvre de Michel Blazy, faite d’algue agar-agar et de pigments, se désagrège au fil du temps.

Jean-Roch Bouiller : Beaucoup des œuvres choisies cherchent à sortir du cadre traditionnel de la peinture ou de la sculpture. Je pense en particulier à l’œuvre d’Anish Kapoor, constituée de formes géométriques assez simples recouvertes de pigments, avec toujours cette idée de couleur qui se répand. Dans le patio, la grande installation de Katharina Grosse montre aussi la volonté de l’artiste de recouvrir les formes de la sculpture avec de la couleur. Beaucoup d’œuvres de l’exposition sont ainsi des installations qui vont être rejouées sur place, sans être circonscrites à un cadre. La peinture est aussi présente dans la collection permanente du musée, avec un accrochage de 16 œuvres de peintures plus traditionnelles qui montre à quel point, même dans un cadre contraint en deux dimensions, les artistes ont su jouer avec le relief, avec la vie propre des matériaux, comme si matières et couleurs avaient une vie autonome.

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Pour monter une exposition commune avec trois structures, comment ça se passe ?

Jean-Roch Bouiller : On entre toujours dans un commissariat collectif avec une petite forme d’inquiétude… Il y a une part de pari dans le fait de partager des idées, des convictions, mais au final nous pouvons constater que nous avons très bien travaillé ensemble. Même si on n’est pas toujours d’accord, les débats sont enrichissants. Malgré des circonstances compliquées avec le contexte sanitaire et le report d’un an, on a réussi à tenir le marathon.

Pour moi l’art contemporain à Rennes c’est vraiment ça : il n’y a pas une structure d’art contemporain qui monopolise l’attention. Au contraire, il existe une multiplicité de structures qui font plein de propositions très différentes, c’est plus intéressant d’avoir cette multiplicité d’acteurs et de visions. Il n’y a pas une vérité, un art contemporain officiel… À Rennes, on a cette chance de pouvoir montrer des sensibilités diverses.

Sophie Kaplan : Quand Jean-Roch nous a invité Anne et moi à collaborer avec lui pour cette exposition autour de la couleur, il avait cette volonté et cette envie d’un travail réalisé en commun au sein de la scène rennaise. Associer les deux centres d’art rennais à ce double temps fort, directement au Musée via ce commissariat partagé, mais aussi, par rebond, à l’exposition la Collection Pinault au Couvent est une invitation généreuse. Ensuite, dans l’articulation de notre travail commun, je dirais que nos approches, parfois différentes, se sont rencontrées sans disparaître chacune, et que cette diversité donne de la profondeur au parcours de La Couleur crue.

Anne Langlois : Je trouve aussi cette expérience très positive, d’autant que Jean-Roch venait d’arriver à la direction du musée. Le musée aurait pu mener cette exposition seul, mais il a choisi de le faire de manière collective. Nous avons pu échanger sur le sens qu’on donnait à l’exposition, le choix des œuvres… La construire ensemble a été passionnant, j’espère que les visiteurs le ressentiront.

À quoi les visiteurs doivent-ils s’attendre avec la Couleur Crue ?

Sophie Kaplan : L’exposition répond vraiment à l’idée de l’art comme expérience. C’est ce qui sous-tend le parcours. Nous avons choisi des œuvres qui permettent de sentir et ressentir de façon palpable les couleurs et la matière. Certaines nous emmènent très loin ; l’installation Rose d’Ann Veronica Janssens par exemple, empruntée au Centre Pompidou, est une véritable immersion dans la couleur. En entrant dans l’espace de l’œuvre, le visiteur perd ses repères, l’expérience de traverser un brouillard coloré fait appel à tous ses sens : il apprend à  cheminer dans la couleur..

Jean-Roch Bouiller : L’exposition mélange également des œuvres prêtées et des commandes qui seront découvertes par le public pour la première fois. Notamment la création vidéo de Florian et Michael Quistrebert, ou encore la création sonore de Vincent Malassis. Certaines œuvres sont des réactivations qui demandent une adaptation au lieu, comme l’œuvre de Flora Moscovici, réalisée pour le patio du musée. Beaucoup d’œuvres exposées contribuent à atténuer la frontière entre le monde de l’art et la vie de tous les jours.

Anne Langlois : Je crois que la symbolique des couleurs est perceptible par tout le monde, elle est aussi porteuse d’espoir, à l’image de la vidéo d’Anri Sala : elle relate l’histoire du maire de Tirana en Albanie qui fait repeindre les immeubles de la capitale avec cette idée que la couleur est le signe d’une vie qui reprend. La relation entre la couleur et la matière permet de proposer quelque chose de sensible, beaucoup d’œuvres vont interpeller les visiteurs.

Informations pratiques 

Le Musée des beaux-arts de Rennes
Destination Rennes – Julien Mignot
  • Du 12 juin au 29 août 2021, La Couleur Crue au musée des beaux-arts https://mba.rennes.fr (20 quai Émile Zola à Rennes, métro République). Billet couplé avec “Au-delà de la couleur. Le noir et le blanc dans la Collection Pinault” au Couvent des Jacobins. Informations, tarifs et réservations sur www.exposition-pinault-rennes.com/ Tarifs à partir de 10€, tarif réduit 6€, gratuit pour les moins de 26 ans.
  • Voir le programme estival autour de l’art contemporain Exporama
  • Photo de Une : Véronique Joumard, Orange, 2003/2008‑2021 © Courtesy de l’artiste, Gilles Drouault et galerie de multiples, Paris /Production Musée des beaux-arts de Rennes © Adagp, Paris, 2021/KinderBiennale, Staatliche Kunstsammlungen,Dresde.

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