Publié le 19 janvier 2024 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 7 février 2024

Il était une fois… l’incendie du Parlement de Bretagne

30 ans après, le Parlement est le monument le plus visité de Rennes

Incendie du parlement de Bretagne en 1994
© D. Levasseur./ Archives de Rennes, 2193 W.

En 1994, un terrible incendie ravage le Palais du Parlement de Bretagne. Un événement tragique pour les Rennais qui assistent stupéfaits à la disparition d’un joyau du patrimoine. Il faudra 10 ans pour restaurer le monument du XVIIème siècle qui abrite encore aujourd’hui la Cour d’appel. Retour sur cet événement qui a paradoxalement révélé l’attachement des Bretons à ce symbole et permis de l’ouvrir à des milliers de visiteurs qui viennent admirer ses décors magnifiquement restaurés.

Une journée pas comme les autres…

Il y a 30 ans, dans la nuit du 4 au 5 février 1994, le Palais du Parlement de Bretagne s’embrasait… Un drame survenu en marge d’une journée de manifestation particulièrement violente. Un tournant dans l’histoire de ce monument, qui abrite encore aujourd’hui la Cour d’appel et qui se visite toute l’année. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Retour sur cette journée particulière qui a traumatisé les Rennais et les 10 années de restauration qui ont permis à ce symbole de la Bretagne de renaître de ses cendres.

« Toutes les personnes qui étaient à Rennes ce jour-là s’en souviennent comme si c’était hier… » raconte Gilles Brohan, Animateur de l’architecture et du patrimoine à l’Office de tourisme. « L’incendie s’est déclenché en marge d’une manifestation qui a dégénéré en émeute. Rennes n’avait pas vu une telle violence depuis la Révolution française. Et le fait que cela se cristallise sur la Place du Parlement, ajoute à l’histoire de la ville, à ce qu’elle a pu connaître par le passé. Un lieu symbolique “où le premier sang de la Révolution a coulé” selon les mots de Chateaubriand »

L’incendie se déclenche en marge d’une violente manifestation

Ce jour-là, les pêcheurs de toute la France se rassemblent à Rennes pour manifester leur colère contre le Premier ministre, en visite dans la capitale bretonne. Une journée d’émeutes qui finit par se calmer à la nuit tombée. « Au soir de cette journée chaotique, tout était rentré dans l’ordre » se souvient Gilles Brohan. « Les services techniques de la ville avaient réparé les abris bus brisés et remis les pavés en place. Le Parlement était illuminé, comme si de rien n’était. Avec d’autres personnes on s’est dit que le Parlement avait encore vécu une drôle de journée ». Mais un autre feu couvait sous ses combles…

Les Rennais assistent à la disparition d’un monument

Vers 00h40, la toiture du Palais de justice s’embrase. Le feu semble incontrôlable, la lueur rouge est visible à des kilomètres à la ronde. Malgré l’intervention rapide des pompiers, les Rennais assistent médusés à la disparition d’un pan du patrimoine breton.

« Le lendemain, le 5 février, c’est la consternation qui se mélange à plein d’autres sentiments : l’incompréhension, la colère, le deuil » explique Gilles Brohan. « Beaucoup de Rennais viennent ce jour-là sur la place, comme on vient se recueillir au chevet d’un proche disparu. Il y avait aussi comme un sentiment de culpabilité, de ne pas l’avoir assez observé. Les Rennais se sont dits ce jour-là : combien de fois je suis passé devant ce monument sans jamais franchir ses portes… Je ne lui ai pas porté assez d’attention et maintenant qu’il a brulé, c’est trop tard… »

Mobilisation des pompiers et des spécialistes du patrimoine

Sauvetage de peintures du Parlement lors de l'incendie de 1994
Ouest-France

Le spectacle est désolant. Comme une bonne partie de la charpente est partie en fumée, les habitants ont l’impression qu’il ne reste que les murs et que les décors ont été totalement anéantis. Même si le bâtiment est très endommagé, une partie des décors du premier étage a cependant pu être sauvée. Ce n’est pas un miracle, mais bien le résultat de la mobilisation des pompiers, des architectes des bâtiments de France et des monuments historiques. Dans les premiers instants de l’incendie, les soldats du feu ont été en effet guidés par les spécialistes du patrimoine.

objectif : sauver la Grand’Chambre

« Lors de sinistres sur des bâtiments anciens, on fait toujours appel aux personnes qui connaissent bien les lieux et qui sont en charge de leur protection » rappelle Gilles Brohan. « Dans certaines pièces, les architectes indiquent aux pompiers là où l’eau risque d’endommager encore plus les décors… Ils traitent l’incendie au cas par cas, tout se fait dans l’urgence mais de manière organisée et avec un sang-froid extraordinaire. Et comme objectif prioritaire, le sauvetage de la Grand’ Chambre, le joyau du Palais ».

Lorsque l’incendie est enfin maîtrisé, on commence à évacuer le mobilier, les objets d’art qui ornent les pièces, les tapisseries, les toiles peintes des plafonds à caissons, les horloges anciennes… Les plus grandes pièces sont sorties par les fenêtres et posées à même le sol dans la rue où sont prodigués les premiers soins, avant de les évacuer. « Ces premières heures ont été cruciales » affirme le spécialiste du patrimoine rennais.

« Nous reconstruirons… »

Passé le choc, on protège le monument avec un immense parapluie et c’est le début de dix années de restauration. « La première étape consiste à dire ‘nous reconstruirons’. Un réflexe ancestral, un acte de résilience qui fait l’unanimité ». Des fonds sont alors débloqués par l’État, propriétaire des lieux, là où siège la cour d’appel depuis 1804. « Il y a eu aussi une forte mobilisation des institutions bretonnes et un engouement du grand public, bien au-delà des frontières de la Bretagne, ce qui a permis de récolter des milliers de dons et de tenir le pari de reconstruire le Parlement en 10 ans… ».

Des tapisseries sauvées des flammes partent en fumée en 1997

Visite du Parlement de Bretagne en 2022
Destination Rennes – Julien Mignot

Le plan de reconstruction prévoit même d’aménager les combles et de gagner de la place pour l’institution judiciaire. Au final, de tous les éléments de décors qui ont pu être sauvés ce jour-là, il ne manque rien, ou presque. Tout a été démonté, restauré, cela représente des millions de pièces réparties dans différents lieux, tenus secrets le temps d’être restaurés…

Seules dix tapisseries sauvées des flammes manquent à l’appel : tissées à la manufacture des Gobelins, elles racontaient l’histoire de la Bretagne et ornaient la Grand’Chambre et la Première chambre civile. Elles ont disparu en 1997 dans l’incendie de l’atelier de restauration Bobin à Montrouge. On pourrait croire que le sort s’acharne, il reste cependant les cartons originaux de ces tapisseries. Conservées au Musée des beaux-arts, ces toiles peintes servaient de modèles. Après restauration elles vont être progressivement réinstallées dans la Grand’Chambre. A les contempler, on n’y voit que du feu…

Aujourd’hui, le Palais du Parlement de Bretagne a retrouvé son faste d’antan. Même si quelques traces de l’incendie subsistent, elles racontent comment le patrimoine traverse les siècles au rythme des restaurations… et des sauvetages. Grâce au savoir-faire précieux d’ouvriers et compagnons du devoir qui se transmet de génération en génération. Grâce aussi à la mémoire des lieux et aux personnes qui y travaillent au quotidien. Toutes ces histoires entremêlées sont à découvrir à l’occasion de visites guidées proposées toute l’année par l’Office de tourisme.

Le monument s’ouvre pour la première fois aux visiteurs en 1999

« Les visites ont commencé en octobre 1999, pendant les travaux de restauration »  explique Gilles Brohan. « A l’époque les magistrats et chefs de Cour d’appel ont pris conscience qu’il fallait que ce palais soit ouvert au public, même après la fin des travaux pour montrer comment travaille la justice. Des conventions ont donc été signées avec l’office de tourisme pour organiser ces visites guidées. Cela a participé à donner une autre image du Palais. Jusque-là on parlait en effet du Palais de justice pour le désigner. L’incendie a révélé brutalement sa présence dans la ville et finalement, lui a redonné ses lettres de noblesse dans le cœur des Rennais »

Depuis cette date, le Parlement de Bretagne est ainsi devenu le monument le plus visité de Rennes. Plus de 20000 personnes y pénètrent chaque année pour observer ses décors, uniques en Europe.

Une visiteuse fait un coeur avec ses doigts devant la place du Parlement de Bretagne
© Destination Rennes – Nicolas Joubard

Commémoration des 30 ans de l’incendie du Parlement

  • A l’occasion de la commémoration des 30 ans de l’incendie, des visites thématiques spéciales seront proposées lors du week-end commémoratif du 9 au 11 février 2024.
  • Des visites thématiques sur la Grand’Chambre et les peintures du Parlement sont aussi au programme en février et en mars.
  • Lundi 5 février 2024, matinale spéciale sur l’incendie, à écouter sur France Bleu Armorique.
  • Exposition “Noël Coypel, peintre du roi”, à voir au Musée des beaux-arts de Rennes, du 17 février au 5 mai 2024.

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